Ce numéro 1 des cahiers de la SFE ouvre une ligne éditoriale complémentaire à celle de l’édition annuelle (ou bi-annuelle) des actes des Journées Françaises de l’Évaluation. Ces cahiers se veulent avant tout un support de valorisation des productions des groupes de travail et clubs régionaux de la SFE et viennent donc compléter les réflexions – parfois thématiques, parfois stratégiques- de ces colloques nationaux qui rassemblent bien plus largement que les seuls adhérents de la SFE, praticiens ou théoriciens de l’évaluation.
Il nous a en effet semblé nécessaire de disposer d’un cadre rédactionnel qui structure la discussion sur le positionnement spécifique de l’évaluation des politiques publiques face à d’autres disciplines, et qui permette de faire valoir la situation française par rapport à celle de nos voisins les plus proches comme à celle d’autres espaces culturels ou institutionnels dont la tradition et l’histoire sont plus éloignés. Ces cahiers seront donc à la fois un instrument de débat interne et de confrontation avec d’autres acteurs français et étrangers du champ de l’évaluation des politiques publiques.
La première livraison a pour ambition de présenter et approfondir les débats suscités par notre « Charte de l’Évaluation », qui sont récurrents depuis la création de la SFE. Elle prend comme point d’appui la préparation de la Charte, pour ensuite étudier les pratiques qui en découlent, préciser l’usage qui est fait des standards en France, et confronter cet usage aux discussions qui ont lieu dans les principaux pays voisins.
Il s’agit donc d’un ensemble de contributions collectives, aussi denses que possible, qui ont l’ambition d’illustrer les « bonnes pratiques » et de retracer le déroulé des questions rencontrées. Celles-ci traversent des acteurs dont la définition, l’allure et l’envergure diffèrent ; reste que la réflexion sur l’évaluation leur est commune et semble résister aux aléas comme à la conjoncture. Une espèce de musique plus ou moins entendue, qui peut faire écho et revenir…
Assez spontanément, puisque le propos est celui d’une « pensée collective », c’est au groupe « standards de qualité et déontologie » qu’il a été proposé de faire l’ouverture et de rassembler les matériaux constituant ce premier cahier. Celui-ci, s’il n’est encore périodique, devrait être suivi d’autres, étalonnés aux besoins de leurs destinataires et à ce que la SFE peut être en mesure de produire et publier.
Le contenu de ce premier cahier court le risque de paraître parfois un peu trop « nombriliste » ou procédural. Il est cependant essentiel pour marquer deux bornes.
D’une part, il devrait permettre d’indiquer sur quels fronts se déplacent aujourd’hui les méfiances à l’égard de l’évaluation : situées il y a quelques années du côté des élus, elles se manifestent désormais par une absence du côté de l’exécutif qui -procédure budgétaire aidant- fait courir le risque d’une instrumentalisation de l’évaluation à des fins purement gestionnaires et se satisferait parfois d’une reconfiguration procédurale visant à concrétiser la modernisation de l’État. Dans ce cas, la défiance à l’égard de l’évaluation des politiques publiques n’est plus déclarée mais agie sur le plan instrumental, au contraire du propos évaluatif. Tandis que par un phénomène de bascule, des élus souvent initialement défiants s’y entraînent progressivement, comme s’il était nécessaire de tomber dans la marmite avant d’y prendre intérêt et goût.
Cette analyse critique pourrait s’inscrire dans une réflexion sur les impasses du pilotage volontariste et sur la difficulté éprouvée à renouveler les formes de gouvernabilité.
Seconde grille d’analyse des débats conduits par le « groupe standard », la reprise des questions brillamment illustrées par la tradition anglo-saxonne du « value for money » : produire de l’action publique selon les coûts les plus faibles et au meilleur rendement, atteindre les objectifs que l’on s’est fixé, bref, montrer que les agencements choisis fonctionnent ou sinon sont révisables et adaptables. On serait là dans une position de surveillance et de contrôle; la perversion serait alors d’y faire procéder par des structures dites indépendantes et formées à bon escient. En ce cas, le discours sur les standards, très rationnalisé, peut sembler parfois extrêmement violent. Il témoignerait, au contraire de la borne précédente, d’une défiance à l’égard des acteurs, des groupes sociaux et finalement de la démocratie.
Selon cette grille, on se placerait là, à force de recherche, de clarté et de mesures, sous l’autorité d’un bureaucrate apprenti sorcier.
Ces deux bornes virtuelles signalent les positions extrêmes qui ont marqué le débat sur « standards et déontologie » en France, et expliquent pour partie la lenteur qui pourrait paraître byzantine du débat sur la charte de l’évaluation : le consensus ne s’est bâti que très progressivement et a dû garder une certaine élasticité dans l’énoncé des principes, pour que chacun à la fois puisse y trouver son ou ses comptes, admettre que des variances étaient possibles et que cette charte était progressivement amendable. Elle est d’ailleurs promise à évolutions successives.
Ce premier cahier risque donc de rester atypique, par son objet et de par sa dynamique : il s’agit en effet d’un récit et d’une certaine explicitation des positions prises par différents groupes d’évaluateurs : chacun devrait ainsi être en mesure de s’approprier les termes du débat, de s’y situer et de réfléchir aux divers possibles.
Bonne lecture donc.
Mais avant de passer à la page suivante, permettez-nous de remercier chaleureusement en votre nom et les membres du « groupe standards » qui ont accepté de formaliser leurs débats à notre intention et chacune des petites mains qui ont, avec assiduité, contribué à l’ouvrage.
Guy CAUQUIL, Président de la SFE ; Claire GUIGNARD-HAMON, Secrétaire de la SFE
SOMMAIRE
Introduction
De la création de la SFE à l’adoption de la charte
Charte de l’évaluation : cinq années de débats
Une perspective européenne et une vue suisse sur des standards d’évaluation
Charte de l’évaluation : les principes à l’épreuve des pratiques
La charte des politiques publiques et des programmes publics
Bibliographie
Ont contribué à la rédaction de ce cahier : Jean-Claude BARBIER, Guy CAUQUIL, Dominique GAGEY, Claire GUIGNARD-HAMON, Frédéric LEFEBVRE-NARE, Manuela LOUE, René PADIEU, Bernard PERRET, Jacques TOULEMONDE, Thomas WIDMER
Comité de lecture : Claire GUIGNARD-HAMON, Marie-Pierre ARLOT, Jean-Claude BARBIER, Béatrice BLANCHET-LACHENY, Jean-Louis DETHIER
Directeur de publication : Emmanuel JAECK
Responsable d’édition : Stéphanie BRETON
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